Dans Les Denis Drolet, il y a le mot drôle. Prémonitoire? Je ne crois pas qu’il y ait un quelconque rapport mystique à dégager de l’orthographe, ici. Mais c’est un fait que le «t» de Drolet est désormais nettement superflu depuis la création de leur 3e spectacle, qui commençait sa carrière cette semaine. Je vous entends! « Ah non, pas eux, je les trouve assez plates…». Vrai que le brun et l’absurde n’ont pas toujours fait l’unanimité, mais avec «Comme du monde», on est bien obligés d’admettre que les Denis ont non seulement un bon show, mais LE show de l’année sur la scène humour.
Pourquoi? Parce que se taper sur les cuisses et ne pas avoir assez de cuisses pour fournir, c’est habituellement un gage de qualité. Sortir à l’entracte et de faire dire que son mascara a coulé, aussi, est un bon signe. Bref, voilà à peu près le résumé de ce spectacle dur à décrire tellement l’imagination des deux comiques déborde et semble sans limites. Durant les deux heures que durent l’événement, parce qu’il s’agit bien d’un événement, on nous sert une réinterprétation magistrale du conte du Petit Chaperon rouge, une simulation des relations père-fils, la création d’une garderie en milieu familial, une reprise de la scène de la nativité avec Joseph, Marie et les rois mages…
En clôture, un numéro sur le monde de l’humour, ses clichés, ses humoristes et ses lieux communs. Sans doute un clin d’oeil à ce qu’on a souvent dit des Denis Drolet, comme quoi ils faisaient de «l’humour d’humoriste», soit de l’humour pour personne avertie. Délicieux. Et le tout est maîtrisé à la perfection par une interprétation qui même si elle est cabotine par moment, est presque sans failles. Et c’était peut-être ça leur lacune, au fond: un jeu à deux pas assez fort pour bien servir leurs propositions déjantées.
C’est évidemment risqué pour moi de se commettre de la sorte avec une appréciation aussi tranchée que définitive. C’est tout aussi évident que je sais qu’on ne peut pas comparer le créneau des Denis Drolet avec celui de Lise Dion, par exemple. Laquelle s’est payée un retour sur scène tout autant grandiose en sachant se renouveler et se réinventer tout en demeurant authentique, mais qui a gagné son pari en osant se mettre en danger en changeant d’équipe de travail. Elle arrive d’ailleurs en seconde place dans mon palmarès.
On ne peut pas non plus les comparer à Peter Macleod, qui lui aussi a proposé un spectacle surprenant cet automne. La force de ce dernier? Concentrer ses efforts dans la limite de ses connaissances. Il a fait la démonstration qu’il n’y a pas de mauvais sujets aussi superficiels soient-ils, ou convenus, comme les relations hommes femmes: le secret c’est de leur accorder un traitement en profondeur.
Les mentions honorables? La nouvelle recrue pas si recrue que ça, Geneviève Gagnon, qui a fait de l’humour sa seconde carrière après une vie de cadre dans une compagnie de télécom. L’humour du gros bon sens, c’est le sien. Une excellente maîtrise de l’interprétation pour un premier spectacle. Beaucoup de lieux communs, mais aussi une authenticité touchante et une joie de partager contagieuse. Quant à Ben et Jarrod, c’est le plaisir coupable de l’année. Les personnagistes reprennent le créneau délaissé de « l’humour de monconcle », physique, niaiseux, colons…mais le font de façon si assumée qu’on se surprend à rire. Quand le duo arrivera à maîtriser sa livraison à la perfection, il sera redoutablement efficace. Hors classement: Eddy King, un bel effort mais une interprétation qui mérite à ce niveau d’être mieux maîtrisée. Pierre Hébert, une présence et une livraison parfaite sur des sujets sans risques et des anecdotes du type «fallait être là, c’était tellement drôle». J’imagine…j’imagine…mais là, tout de suite, tu pourrais trouver quelque chose pour me faire rire?
Certains vieux routiers ont aussi manqué leur coup, et étrangement, ils sont coupables d’avoir commis la même erreur. Au contraire de Lise Dion, qui est allée chercher du sang neuf qui la remettrait en question, André-Philippe Gagnon et Claudine Mercier semblent avoir travaillé avec des gens qui les ont confortés (trop) dans leurs vieilles habitudes. Le problème, c’est que l’humour ici évolue à vitesse grand V et que le public est devenu un fin connaisseur parce que les plates-formes pour en consommer se multiplient.
Je n’ai pas vu le récent spectacle de Jean-Marc Parent, et je compte bien y remédier. Restent aussi à venir ceux d’Alexandre Barrette et de Sugar Sammy, lequel propose une formule unique, bilingue, expressément faite pour le marché montréalais. Il y a aussi Patrick Huard en mars. Difficile de savoir si son retour sur scène sera triomphal, mais au prix où se vendent ses billets, on se dit que ça doit au moins valoir le prix en rires à la seconde. Peut-être seront-ils tout aussi époustouflants que les Denis. Mais ils se démarquent autant du lot que l’avait fait l’an denier Martin Petit avec son «Micro de feu». Si la tendance se maintient, ils devraient conserver leur avance.
Certes, je répète, Les Denis Drolet sont si uniques qu’on ne peut pas vraiment les comparer à de l’humour conventionnel. Mais peu importe que notre type soit absurde, social, burlesque ou politique, il est une chose commune à tous les spectacles d’humour réussi: la capacité de surprendre, d’amener le spectateur à prendre un chemin qu’il n’aurait jamais osé penser prendre, sans GPS, sans carte…avec pour seul guide une boussole qui pointe vers le rire. Quand c’est drôle, ça ne ment pas.