Biographie d'Yvon Deschamps
Yvon Deschamps, né le 31 juillet 1935, à Montréal, est un monologuiste québécois qui s'est grandement illustré depuis les années 1960 par son humour social. Possédant une vaste carrière s'étendant sur de nombreuses années, il est un des premiers et un des plus grands humoristes québécois, sans doute le plus connu du Québec actuellement, autant par les plus jeunes que les plus âgés. Il fait figure de pionnier car il a ouvert la voie à plusieurs autres humoristes.
Yvon Deschamps est né dans le quartier ouvrier de Saint-Henri. Il abandonne l'école en 1951 après sa onzième année. En 1953, il déniche un emploi à la discothèque de la toute nouvelle télévision de Radio-Canada, où il découvre le monde de la scène et du spectacle. Après avoir assisté à une pièce de boulevard mettant en vedette Georges Groulx et Denise Pelletier, il développe un goût pour le théâtre et s'inscrit à des cours sous François Rozet et Paul Buissonneau. Il monte sur les planches pour la première fois en 1957 au Théâtre universitaire canadien, tenant le rôle de Pylade dans Andromaque.
En 1959, il participe à La Roulotte, le théâtre mobile pour enfants de Paul Buissonneau. L'année suivante, il épouse Mirielle Lachance[1] (dont il divorcera en 1967). En 1961, il se lie d'amitié avec Claude Léveillée, duquel il devient le batteur et l'accordéoniste. En 1963, il se joint en compagnie de Léveillée et plusieurs autres artistes au Théâtre de Quat'Sous de Buissonneau. En 1964, il obtient son premier rôle au cinéma, dans Délivrez-nous du mal de Jean-Claude Lord.
Cette même année, il délaisse sa (courte) carrière de musicien et ouvre le restaurant Le Fournil dans le Vieux-Montréal, puis le Saint-Amable en 1966, qui se solderont tous deux par une faillite quelques années plus tard. Dans l'entre-temps, Yvon Deschamps y héberge la Boîte à Clémence, une boîte à chansons de Clémence Desrochers, et participe aux revues Le monde sont drôles et Sois toi-même, qui y sont présentées en 1967. Cette dernière est toute particulière, puisque y apparaît pour la première fois le « personnage » d'Yvon Deschamps et son « bon boss ».
L'Osstidcho
À l'hiver 1968, Yvon Deschamps se retrouve sans le sou et accepte un emploi au Quat'Sous offert par son ami Buissonneau. Celui-ci vient de perdre Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay (qui sera présenté au Théâtre du Rideau Vert à la place) et recherche donc une pièce pour terminer la saison.
Yvon Deschamps propose donc à Louise Forestier et Robert Charlebois de monter une revue musicale. Le résultat sera L'Osstidcho, un spectacle qui va révolutionner la chanson québécoise.
S'inspirant de Alice's Restaurant d'Arlo Guthrie, Deschamps y écrira son premier vrai monologue, Les unions, qu'ossa donne ?, dans lequel le « personnage » naïf vante la grande générosité et bonté de son patron, alors qu'on comprend bien que la réalité est tout autre.
« Une fois, ma femme était tombée malade d'urgence, ça fait que l'hôpital a téléphoné. Y'était deux heures et quart ; c'est le boss qui a répond. Y vient me voir, y dit: "Ta femme est tombée malade d'urgence, ils l'ont rentrée." Y dit: "Voyons, énerve-toé pas avec ca ! Fais comme si de rien n'était, continue ton ouvrage. Si y'a quelque chose, j'te l'dirai." Pas n'importe quel boss qui aurait fait ça. » Deschamps rédigera plusieurs autres monologues, dont Le monde sont malades, C'est extraordinaire et La Saint-Jean, ainsi que Nigger Black et Pépère, ces derniers relevant de l'enfance du personnage.
La gloire
Suite au succès de L'Osstidcho, la carrière d'Yvon Deschamps démarre en trombe. En 1969, il présente L'argent en première partie du tour de chant de Marie Laforêt, puis Le bonheur au Théâtre du Canada, monologues qui constitueront son deuxième album. Il monte seul sur scène pour la première fois au Patriote, où il se produira 310 fois.
En 1970, il lance son troisième album, Le p'tit Jésus/Le fœtus, et donne plus de 240 représentations au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, présentant de nouveaux monologues comme Dans ma cour et Cable TV. L'année suivante, 180 autres représentations auront lieu, dont cinq semaines à guichet fermé.
le 6 novembre 1971, il se maria avec une anglophone, Judi Richards. Par la suite, il présente les spectacles On va s'en sortir au Théâtre Saint-Denis en 1972 et La libération de la femme au Patriote en 1973 et 1974, ce dernier à plus de 150 reprises. En 1975, il part en tournée pendant neuf mois pour présenter L'histoire sainte.
En 1975, il participa à la Fête Nationale sur le mont Royal, le soir du 24 juin où l'on assista à la création de la chanson Gens du pays (composée par Gilles Vigneault) qui deviendra le chant d'anniversaire des Québécois. L'année suivante, il fut l'une des figures de proue du spectacle du 23 juin 1976 intitulé Les 5 Jean-Baptistes qui est mieux connu sous le titre 1 fois 5. Il s'éclata sur la montagne et sur les Plaines avec les Vigneault, Léveillée, Ferland et Charlebois et le disque remporta l'Académie Charles-Cros en 1977.
En 1977, il revient avec un nouveau spectacle (Complet) qui tiendra l'affiche pendant 16 semaines à la Place des Arts et y sera présenté à 102 reprises. Il tente une percée dans le marché anglophone avec une tournée en Californie et participe à trois reprises à l'émission de Peter Gzowski à la CBC, ainsi qu'à Let's Save Canada Hour au même réseau.
En 1979, il revient de nouveau à la Place des Arts, avec un spectacle qualifié de très difficile, incluant les monologues La petite mentale et La manipulation. Deschamps lui-même le qualifiera de « catastrophe » et se rappellera plus tard : « On a fini par dire que j'étais fini. »
En 1982, il présente C'est tout seul qu'on est l'plus nombreux. Le public, échaudé par l'expérience précédente, hésite au départ (« il n'y avait que 5000 billets de vendus une semaine avant la première »), mais la réaction est chaleureuse. (« Comme je m'étais assagi, je vendais une salle par jour, 10 jours plus tard. ») L'année suivante, il se produit pendant deux semaines au Théâtre de la Ville de Paris.
Constatant la naissance d'une nouvelle génération d'humoristes québécois (avec Ding et Dong en tête) et troublé par la montée du mouvement de rectitude politique des années 1980, Deschamps estime qu'est venu le temps de mettre un terme à sa carrière de monologuiste. Il présente en 1983 son spectacle d'adieu, Un voyage dans le temps.
Départ et retour
En 1985 débute Samedi de rire, une émission à sketches humoristiques d'une heure, diffusée le samedi à 19 heures à la télévision de Radio-Canada. Yvon Deschamps en est l'animateur et joue aux côtés de Normand Chouinard, Normand Brathwaite, Pauline Martin et Michèle Deslauriers. Il y campe notamment son célèbre personnage « raconteur d'histoires » de Ti-Blanc Lebrun. 78 épisodes et 2 anthologies seront diffusés de 1985 à 1989.
L'expérience permet à Deschamps de rester dans le domaine de l'humour et de garder le contact avec le public québécois, tout en le soulageant de la pression qui lui était imposée lors de ses spectacles. Il en profite toutefois pour parfois présenter un de ses monologues précédents entre deux sketches.
Suite au succès que fut Samedi de rire, Deschamps lance CTYvon, une émission quotidienne se déroulant dans un studio de télévision. Moitié comédie de situation, moitie parodie d'émissions de télévision, le concept sera accueilli froidement par les critiques et ne durera qu'une saison (1989-1990).
Après huit ans d'absence sur scène, il décide de plonger une dernière fois et offre un tout nouveau spectacle, U.S. qu'on s'en va ?, qu'il présentera à 140 reprises en 1992 et 1993 et qui sera diffusé à la télévision de Radio-Canada.
En 1996, il procède à l'achat du Manoir Rouville-Campbell, lieu historique à vocation hôtelière situé à Mont-Saint-Hilaire en Montérégie, au Québec. Il y fait construire la Boîte à Yvon, une petite salle de spectacle pouvant accueillir 300 personnes, où il présentera un amalgame de monologues classiques et nouveaux aux clients de son établissement. Un album (Yvon Deschamps au Manoir Rouville-Campbell) est lancé en 1999.
Suite aux pressions de ses proches et amis (dont Judi Richards et Normand Brathwaite) qui estiment que ce nouveau matériel mérite d'être partagé avec un plus vaste auditoire, Deschamps retourne à l'ouvrage. Le résultat, Comment ça, l'an 2000 ?, est présenté à guichet fermé au Théâtre Corona à Montréal et au Palais Montcalm à Québec, avant de faire l'objet d'une tournée panquébécoise en 2001 et 2002, puis de donner lieu à l'album Comment ça, 2000... 2001... 2002 ? Un des sujets de ce spectacle est la crainte éprouvée par de nombreuses personnes que l'an 2000 amène la fin du monde:
"50 millions d'Américains pensent que la fin du monde va arriver en l'an 2000. Hey, ça c'est inquiétant. Premièrement, parce qu'ils sont 50 millions. Deuxièmement, parce qu'ils sont Américains: si la fin du monde arrive pas toute seule, y vont la faire arriver !":
Depuis 2000, la Boîte à Yvon présente régulièrement des humoristes québécois en devenir.En 2001, Deschamps est nommé Chevalier de l'Ordre national du Québec par le premier ministre du Québec, Bernard Landry.Son dernier monologue a eu lieu au Festival Juste Pour Rire, en 2007. Yvon Deschamps a reçu une ovation debout de la part du public. Le 19 juillet 2010, à l'occasion du gala hommage pour Claude Meunier, il présenta un numéro hommage à celui-ci.
Style
Les monologues d'Yvon Deschamps se déroulent dans une ironie constante et cherchent souvent à exprimer un message complètement à l'opposé des propos tenus par le personnage. Dans son premier monologue, Les unions, qu'ossa donne ?, Deschamps y campe un personnage exploité, exemple typique du Québécois porteur d'eau, mais qui demeure résolument aveugle face à sa propre exploitation aux mains de son « bon boss ».
Il a une attitude antisyndicaliste, disant que c'est inutile, que les syndicats sont contre l'entreprise privée et ceux qui créent de vrais emplois, etc. Il prend une position inverse de celle qu'il adopte vraiment pour mieux montrer son absurdité. Subtilement, plus il parle de son employeur, plus on se rend compte qu'il se fait exploiter et que sa condition l'empêche de le voir.
À ses débuts, le « personnage » d'Yvon Deschamps (qui ne sera jamais explicitement nommé) se démarque par sa grande naïveté, ce qui lui permet d'aborder des sujets plus délicats, tel le racisme. Dans Nigger Black, le personnage raconte sa surprise lorsque, enfant, il constate que les « Nègres » ne sont en fait que des êtres humains comme lui, foncièrement ni meilleurs ni pires.
Nous autres, on n'avait sur notre rue, là ; y restaient dans les mêmes maisons que nous autres, y'allaient dans les mêmes écoles. Eille, même nous autres on n'avait, là, c'tait des Nègres canayens français. Y n'avait un dans ma classe qui s'appelait Robert. Heille, moé j'avais jamais vu ça un Nègre qui s'appelait Robert !
Très vite, Deschamps ressent le besoin de dépasser les bornes établies. Son personnage commence à prendre de l'assurance, ses propos deviennent plus pointus.
En 1972, j'ai cependant décidé d'écrire d'une autre façon et de faire des expériences plus théâtrales. Question de créer différentes émotions chez le public. Des malaises aussi. Je chicanais mes musiciens. Je faisais semblant d'avoir des trous de mémoire de cinq minutes. J'ai déjà fait partir les sprinklers (arrosoirs automatiques) pendant un spectacle. Jusqu'au début des années 80, je me disais qu'il fallait que j'aille le plus loin possible sur scène. Mon public est passé par tout. Il sortait de la salle la tête entre les jambes.
Dans L'intolérance, il tente un exercice de style périlleux : celui d'aller au-delà de ce que son public est prêt à accepter. Le monologue commence tranquillement, après une longue introduction et une chanson (On va s'en sortir), avec le personnage qui met le public en garde contre les dangers de l'intolérance, qui est la cause principale des guerres, massacres, génocides et autres malheurs de l'humanité. (Le tout, sans pouvoir s'empêcher de livrer au passage une diatribe contre les « tapettes ».) Il cite en exemple le génocide au Biafra, où l'intolérance a fait que « des millions de petits Nègres sont morts de faim », bien qu'il ne s'en offusque pas outre mesure, ceux-ci n'étant, après tout, que des Nègres.
Toutefois, s'empresse-t-il d'ajouter, l'intolérance a déjà tué « du vrai monde » — en l'occurrence, des « presque blancs », c’est-à-dire des « Gris pâles », c’est-à-dire des Juifs.
Six millions de Juifs, que sont morts parce que Hitler, y faisait de l'intolérance. Y'était malade dans tête, un maudit maniaque de fou, la, tsé la ? Ah oui, lui, lui Hitler y disait que les Juifs sontaient pas du monde comme les autres pis y s'habillaient mal pis y'avaient des couettes pis y puaient pis y s'lavaient pas pis y'achetaient toutte...
Je l'sais ben que c'est vrai qu'y sont comme ça. On tue pas le monde pour ça ! Des Juifs, tu t'arranges pour pas n'avoir dans ton boutte, c'est toutte.
Le monologue continue de déraper, et le personnage raconte comment ils ont chassé une famille juive de leur quartier quand il était adolescent, à grands cris de « maudits juifs sales ». Il pousse et pousse jusqu'à ce qu'un membre de l'auditoire, écœuré de ce spectacle, fasse ouvertement part de son dégoût. C'est à ce moment que le personnage se retourne contre lui, et l'accuse de faire preuve de la même intolérance dont il met le public en garde depuis vingt minutes. Il s'exclame que l'on doit monter une armée contre les intolérants, et son discours est enterré sous les bruits de pas d'un régiment, et le tout se fond finalement en une reprise de On va s'en sortir.
Deschamps avouera avoir eu peur à chacune des représentations de ce monologue.
Influence sur la société québécoise
* « De Martin Matte à Patrick Huard, plusieurs jeunes humoristes voient en Deschamps leur père spirituel ; celui qui a permis l'émergence du mouvement comique actuel. Un peu comme Michel Tremblay, au théâtre, qui a mis au monde une génération de dramaturges, Yvon Deschamps a donné à l'humour québécois ses lettres de noblesse. ».
* « C'est avec Yvon Deschamps que débute une nouvelle tradition d'humour au Québec qui se perpétue de nos jours avec un très grand nombre d'artistes de tous âges. Claude Meunier, un de nos plus talentueux humoristes, a dit de Deschamps qu'il est "un personnage historique qui a probablement le plus contribué à la réflexion sur la question nationale. C'est un personnage écouté, un éveilleur social et politique." Un autre humoriste de talent, Pierre Légaré a écrit "Tous les humoristes québécois, sans exception, utilisent une ou plusieurs voies qu'a découvertes, tracées, ou pavées Yvon." ».
* « C'est le gars qui est capable de faire une satire féroce de notre société, qui est capable de rire de nos travers d'une façon cruelle. Deschamps dit des énormités, et ça passe parce que c'est lui, parce qu'on sait que venant de lui, ça n'a rien de méchant. » — Gilles Latulippe
Citations
- Vaut mieux se donner aux notaires du Québec que demander l'Aide Sociale. (TVA-RC)
- Vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade. (L'Argent)
- On veut pas l'sawouère [...] on veut le wouère ! (Cable TV)
- Ce qui revient à dire qu'un vrai Québécois, c't'un communiste de cœur, c't'un socialiste d'esprit, pis c't'un capitaliste de poche. (La fierté d'être Québécois)
- [...] le vrai Québécois sait qu'est-ce qu'y veut. Pis qu'est-ce qu'y veut, c't'un Québec indépendant, dans un Canada fort. (La fierté d'être Québécois)
- C'est important le bonheur, parce que si t'as pas le bonheur, t'es-pas-heuREUX ! (Le Bonheur)
- Vaut mieux être petit que très petit...
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